Comment rompre une relation commerciale avec un partenaire type ?
La liberté contractuelle est un principe fondamental du système juridique français. Elle est garantie par le Conseil constitutionnel sur le fondement de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Cette liberté suppose de choisir dans les contrats le cocontractant, la forme et les termes. Or, en ce qui concerne la rupture des relations commerciales établies, souvent formalisées par des contrats, il existe une réglementation en vigueur qu’il convient de respecter sous peine d’être sanctionné.
Tout d’abord, il convient de rappeler ce qu’est une relation commerciale établie, terme utilisé mais non défini par le Code du commerce.
Une relation commerciale peut concerner la fourniture d’un produit ou d’une prestation de service. Malgré le terme de commercial utilisé, les modalités de rupture s’appliquent aussi bien aux activités commerciales qu’aux relations industrielles ou encore aux prestations intellectuelles. La relation commerciale englobe donc toutes les activités économiques.
La jurisprudence précise ensuite qu’une relation est établie dès lors qu’elle présente un caractère à la fois suivi, stable et habituel (Cass. Com. 22 novembre 2016).
Cependant, le texte ne précise pas si les relations en question sont précontractuelles, contractuelles ou même post-contractuelles.
Ainsi, une succession de contrats de très courte durée qui sont prorogés ou renouvelés peut aboutir à la caractérisation d’une relation commerciale établie. Le caractère permanent et continu des échanges n’est pas nécessaire si la régularité et la stabilité sont démontrées.
Toutefois, des relations ponctuelles, précaires ou des contrats qui font l’objet d’appels d’offres systématiques ne pourront constituer des relations commerciales établies.
Une fois les conditions réunies pour voir sa relation d’affaires caractérisée de relation commerciale établie, il faut examiner les différentes modalités de rupture de relation selon les cas.
Dans la majorité des cas, l’établissement d’une relation commerciale établie se formalise par un contrat rédigé. Les modalités de rupture du contrat diffèrent alors selon sa durée prévue :
- Dans un contrat à durée indéterminée, le principe est la libre révocation sous réserve du respect d’un délai de préavis raisonnable. Seuls une faute grave ou un cas de force majeure permettent d’éviter le respect du préavis ;
- Dans un contrat à durée déterminée, les parties sont tenues de s’exécuter jusqu’au terme sauf si les deux parties veulent rompre le contrat d’un commun accord, si l’un commet une faute grave ou si un cas de force majeure est caractérisé. Cette disposition trouve notamment son application en droit du travail.
Attention : Quelle que soit la durée du contrat, la décision d’y mettre un terme doit être notifiée par écrit. La plupart du temps, la notification prend la forme d’une lettre recommandée de résiliation.
Ainsi, si vous avez conclu un contrat à durée indéterminée et que vous souhaitez rompre votre relation commerciale avec un partenaire, vous devez respecter un préavis.
La durée de celui-ci est déterminée d’après la loi par l’ancienneté de la relation commerciale, les usages du commerce et les accords interprofessionnels. D’autres critères ont été précisés par la jurisprudence comme le volume d’affaires réalisé, l’état de dépendance économique du partenaire victime de la rupture ou encore le temps passé à retrouver un partenaire.
La jurisprudence permet d’avoir une idée des délais dont il est question. La durée du préavis est :
- Entre 6 et 12 mois pour une relation commerciale d’une durée inférieure à 10 ans ;
- D’un an pour une relation commerciale qui a duré entre 10 et 20 ans ;
- Entre 12 et 18 mois pour une relation commerciale de plus de 20 ans.
L’article L442-1 du Code de commerce dispose par ailleurs que : « La responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de dix-huit mois ».
Attention : Ces tendances ne sont pas toujours confirmées. En effet, le juge apprécie toujours la durée du préavis en fonction des circonstances propres à chaque situation commerciale.
L’article L442-1 du Code de commerce prévoit deux situations dans lesquelles la rupture d’une relation commerciale peut se faire sans le respect d’un préavis :
- Le manquement grave de votre partenaire commerciale à une obligation essentielle du contrat. Les juges considèrent en effet que le préavis n’est pas nécessaire dès lors qu’était commise une faute d’une gravité telle qu’elle ne permette pas le maintien de la relation. Par exemple, la Cour a considéré que le fait de ne pas être à jour des paiements pendant plusieurs années et après plusieurs sommations constituait une faute suffisamment grave pour justifier une rupture sans préavis ;
- Le cas de force majeure. Pour être caractérisé de la sorte, un événement doit être extérieur, imprévisible et irrésistible. L’article 1218 du Code civil dispose en effet que : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. » L’article précise alors deux cas de figure en fonction de la durée de l’empêchement : « Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations ».
La question est alors : La crise du Covid19 est-elle un cas de force majeure ?
Les juges ont parfois refusé de caractériser des événements similaires à celui de la crise du Covid19 de cas de force majeure. Par exemple, dans un arrêt de 2016, la cour d’appel de Basse-Terre, retient à propos du virus chikungunya que « cette épidémie ne peut être considérée comme ayant un caractère imprévisible et surtout irrésistible puisque, dans tous les cas, cette maladie soulagée par des antalgiques est généralement surmontable ».
Cela pourrait donc laisser présager un refus de prise en compte du Covid comme cas de force majeure.
Examinons donc les caractéristiques du coronavirus :
- En ce qui concerne la condition tenant à l’existence d’un « événement échappant au contrôle du débiteur », l’émergence et la propagation du Covid 19 semblent remplir cette condition. Les mesures étatiques adoptées pour lutter contre le Covid 19 échappent elles aussi au contrôle des cocontractants et notamment la fermeture au public de tous les commerces jugés non indispensables :
- « Un événement qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat ». Le Covid19 est une forme nouvelle de virus, pour laquelle il n’existe à ce jour aucun vaccin. Cette condition peut donc être validée pour tous les contrats conclus, renouvelés, ou même reconduits avant janvier 2020. Cependant, la date à partir de laquelle on peut considérer que l’événement aurait pu être prévu n’est pas encore définie : l’apparition du Covid19 en Chine, la détection du premier cas de contamination en Europe, ou encore en France, une déclaration de l’OMS, etc. ;
- « Un événement empêchant l’exécution d’une obligation et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées ». En fonction de la nature des contrats, le Covid 19 et les mesures étatiques en résultant ont pu avoir pour effet de rendre absolument impossible l’exécution d’obligation contractuelle. Si l’exécution d’une obligation est simplement plus difficile ou plus onéreuse, la force majeure n’est pas caractérisée comme dans le cas d’un remplacement de marchandise faisant appel à d’autres producteurs.
Les caractéristiques de la force majeure semblent donc toutes remplies et c’est la direction pour l’instant prise par le gouvernement français. En effet, Bruno Le Maire, Ministre de l’Économie, a affirmé le 28 février 2020 que la crise du Covid-19 constituait un cas de force majeure.
La cour d’appel de Colmar a suivi la décision du gouvernement dans deux arrêts du 23 mars 2020. Elle a en effet retenu l’existence d’un cas de force majeure en raison « de la pandémie Covid19 en cours et des mesures de confinement prises par l’autorité publique ».
Toutefois, cette crise ne permet bien sûr pas à toutes les entreprises de se soustraire à leurs obligations : chaque situation doit être analysée par les juges au cas par cas. Ils doivent notamment déterminer la durée de l’impossibilité d’exécution :
- Si l’impossibilité d’exécuter l’obligation contractuelle n’est que temporaire, celle-ci sera uniquement suspendue. Les obligations seront donc reportées et devront être exécutées dès que la situation le permet (par exemple lorsque l’ouverture d’un établissement est autorisée de nouveau).
- Si l’impossibilité est définitive, le contrat est alors résolu de plein droit, sans que la responsabilité du débiteur ne puisse être engagée.