Acquisition d’un NFT : acquiert-on les droits d’auteur ?
Répondre à cette question suppose de comprendre ce que sont les droits d’auteur.
Rappel de ce qu’est le droit d’auteur
Le droit d’auteur est l’une des branches du droit de la propriété littéraire et artistique que l’on retrouve dans le livre Ier du Code de la propriété intellectuelle (CPI).
L’article L111-1 du CPI dispose ainsi que :
« L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ».
La notion d’« œuvre de l’esprit » n’est pas définie par le CPI. Néanmoins, il est possible d’affirmer que pour pouvoir bénéficier de la protection du droit d’auteur, la création doit être :
- Originale : l’œuvre doit revêtir l’empreinte de la personnalité de son auteur ou être marquée d’un effort intellectuel ;
- Tangible : l’œuvre doit se manifester par une expression ou une forme tangible en étant, par exemple, fixée sur un support (physique ou numérique).
Le droit d’auteur confère deux types d’attributs (ou prérogatives) à l’auteur d’une œuvre :
Attributs moraux : on utilise également l’expression « droit moraux », qui sont un ensemble de droits accordés à l’auteur, considérés comme perpétuels, inaliénables et imprescriptibles lui garantissant :
- Le droit au respect de son œuvre, de son nom et de sa qualité ;
- Le droit de divulgation de son à l’œuvre au public : l’auteur dispose du droit de faire circuler son œuvre comme il l’entend et de s’opposer à la divulgation celle-ci lorsqu’il n’a pas donné son consentement ;
- Le droit de paternité : permet à l’auteur de pouvoir revendiquer que son nom soit mentionné lorsque son œuvre est présentée au public ;
- Le droit de retrait et de repentir : l’auteur dispose du droit de demander que l’œuvre soit retirée de la circulation et de lui apporter des modifications.
Attributs patrimoniaux : on parle également de « droits patrimoniaux », qui permettent à l’auteur d’une œuvre de disposer d’un monopole d’exploitation sur celle-ci pour en recevoir une rémunération. Ce monopole d’exploitation comprend :
- Un droit de reproduction : permettant de communiquer l’œuvre au public de manière indirecte par le biais d’une fixation matérielle par tout procédé (article L122-3 du CPI). Par exemple : reproduire l’œuvre sur un CD, un poster ou une lithographie ;
- Un droit de représentation : permettant de communiquer l’œuvre au public par tous procédés (article L122-2 du CPI). Par exemple : présenter l’œuvre dans un film, une publicité, etc. ;
- Un droit de suite : permettant à l’auteur de l’œuvre de percevoir un pourcentage du prix de vente à chaque cession de l’œuvre (article L122-8 du CPI).
Les droits patrimoniaux ne s’appliquent pas pour certaines utilisations de l’œuvre (représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille, copie réservée à un usage privé du copiste, etc.). L’article L.122-5 du CPI en donne la liste. L’auteur de l’œuvre peut décider de transmettre à un tiers les droits d’auteur dont il dispose sur son œuvre. Cette transmission se fait sous la forme d’un contrat de cession de droits d’auteur et sous certaines conditions. L’auteur de l’œuvre peut déterminer les conditions dans lesquelles les droits d’auteur pourront être exploités.
Bon à savoir : il doit exister une contrepartie financière, exception faite des droits de représentation et de reproduction qui peuvent être cédés à titre gratuit.
La cession des droits d’auteur peut figurer sur un certificat d’authenticité donné par l’artiste ou la galerie ou encore, et ce dans la plupart des cas, dans un contrat en bonne et due forme. Plusieurs types de contrats de cession de droits d’auteur existent. Chaque contrat se veut différent selon l’objet, le contenu et la teneur des droits d’auteurs cédés :
- Contrat d’édition : permet à l’auteur d’une œuvre d’accorder la cession de ses droits d’auteur pour la fabrication d’exemplaires de son œuvre sous format physique ou numérique afin d’en assurer la publication et la diffusion ;
- Contrat de représentation : permet à l’auteur de donner son autorisation pour la représentation de son œuvre.
La rédaction d’un contrat de cession des droits d’auteur permet à l’auteur de céder les droits patrimoniaux dont il dispose sur son œuvre. L’acheteur pourra alors bénéficier des droits d’auteur et exploiter l’œuvre en question. Au jour de la cession des droits, l’auteur original de l’œuvre perd ses droits d’auteur sur celle-ci et ne pourra donc plus l’exploiter ou la céder.
Les droits d’auteurs sont protégés par le CPI. Ainsi, nul ne peut porter atteinte aux droits patrimoniaux et moraux de l’auteur d’une œuvre de l’esprit. En cas d’atteinte aux droits d’auteur, ce dernier dispose d’un arsenal juridique à sa disposition, et notamment l’action en contrefaçon, laquelle sanctionne la violation sur le plan civil et pénal.
Vous connaissez désormais le cadre général des droits d’auteur. Voyons à présent l’application de la notion de droits d’auteur en matière de NFT.
Le NFT n’est pas, juridiquement, une œuvre d’art
La définition du NFT est simple, c’est un jeton non fongible représentant un actif physique ou numérique inscrit sur une blockchain permettant de certifier l’authenticité de cet actif et sa non-interchangeabilité. Comme nous l’avions déjà analysé dans l’article relatif à la fiscalité des NFT, il n’est pas envisageable de qualifier le NFT d’œuvre d’art pour lui appliquer le régime fiscal avantageux de l’œuvre d’art.
Du point de vue du droit de la propriété intellectuelle, l’assimilation du NFT à une œuvre d’art paraît être tout aussi erronée dès lors que :
- L’article L112-2 du Code de propriété intellectuelle liste les œuvres de l’esprit dont le NFT ne fait pas partie (bien que cette liste ne soit pas exhaustive) ;
- Le NFT ne peut être assimilé à une œuvre de l’esprit dès lors que sa création passe par un processus de tokenisation et de « minting » qui sont des processus informatiques ne faisant appel à aucune originalité et ne relevant pas d’un processus créatif portant l’empreinte de la personnalité de son auteur.
Lors de l’achat du NFT, les acheteurs ne reçoivent pas l’œuvre sous-jacente, mais un jeton numérique donnant accès à un fichier numérique enregistré dans une blockchain ayant pour objet de représenter le certificat d’authenticité de l’actif sous-jacent. Dans ce contexte, l’auteur de l’œuvre reste titulaire des attributs moraux et patrimoniaux sur son œuvre, sauf à ce qu’une cession des droits d’auteur ait été prévue.
Le NFT n’est pas, juridiquement, le support de l’œuvre
L’article L111-3 du Code de la propriété intellectuelle et la jurisprudence précisent que la propriété incorporelle de l’œuvre est indépendante de la propriété du support matériel.
Autrement dit, ce n’est pas parce que l’on est propriétaire du support matériel d’une œuvre (par exemple, un tableau ou une clé USB pour une œuvre numérique) que l’on dispose nécessairement de la propriété incorporelle de l’œuvre, à savoir les droits de propriété intellectuelle attachés à l’œuvre (dont les droits d’auteur).
Vous l’avez désormais compris, l’acquéreur d’une œuvre d’art ne devient que propriétaire du support de l’œuvre et non de l’œuvre. Ainsi, la cession d’une œuvre physique n’entraîne que le transfert de la propriété corporelle du support de l’œuvre sans que les droits de propriété intellectuelle ne soient transmis.
Comme exposé ci-dessus, pour être qualifiée d’œuvre de l’esprit et être susceptible de bénéficier de la protection du droit d’auteur, l’œuvre doit être tangible. Or, l’art numérique n’est pas tangible par nature. En revanche, le support de l’œuvre peut l’être. S’agissant du NFT, la situation est différente. En effet, le NFT ne peut être considéré comme le support d’une œuvre car il n’est qu’une connexion numérique (via un code informatique) avec l’œuvre.
En effet, l’œuvre numérique sous-jacente (photographie, musique ou encore vidéo) va être fixée sur un support qui est le fichier numérique. Pour une photographie, il s’agira d’un fichier JPG ou encore PNG. Pour une musique, un fichier MP3 par exemple et pour une vidéo, un fichier MP4 ou MOV. Et c’est ce fichier numérique, support de l’œuvre, qui sera enregistré dans une blockchain. Le NFT n’est alors que le moyen d’accès à ce fichier numérique.
Par conséquent, le NFT ne peut être qualifié de support de l’œuvre numérique.
Le NFT est un certificat d’authenticité numérique
Un certificat d’authenticité est un document physique (papier) ou numérique (PDF) permettant d’attester la paternité et l’intégrité d’une œuvre. Ce certificat est délivré soit par l’auteur de l’œuvre, soit par un expert après vérification, qui sera susceptible d’engager sa responsabilité en cas de défaillance sur l’expertise diligentée.
Si un certificat d’authenticité « classique » peut être falsifié, le NFT présente l’avantage de lutter contre les risques de falsification en garantissant de manière efficace l’authenticité d’une œuvre grâce à son enregistrement sur une blockchain. En effet, il est possible d’inscrire sur le NFT toutes les informations relatives à l’œuvre sous-jacente (année de la création, nom de l’auteur, description de l’œuvre, etc.).
Le NFT n’est pas toutefois pas un certificat d’authenticité absolu pour les non-initiés de la blockchain. En effet, il peut être difficile de déterminer la paternité d’une œuvre lorsque l’émetteur vient à se confondre avec l’auteur de l’œuvre sous-jacente. Cela sera notamment le cas lorsque l’émetteur de NFT décidera d’émettre un NFT sur une œuvre dont il n’est pas l’auteur original.
En effet, certaines œuvres se retrouvent sur le marché des NFT sans le consentement de l’auteur de l’œuvre et cela soulève de nombreux contentieux en la matière. Les acheteurs pensent acquérir une œuvre originale alors qu’il n’en est rien. Il est ainsi important de vérifier les mesures de traçabilité mises en place par les plateformes d’échange, bien que ces dernières n’aient pas toutes le même degré d’exigence (procédure de Know Your Customer « KYC »).
Dans ce contexte, l’acquéreur dudit NFT devra être particulièrement vigilant et vérifier scrupuleusement les informations inscrites sur le NFT via le smart contract permettant son émission et sa circulation. Il pourra aussi compter sur la traçabilité des transactions pour vérifier la qualité de l’émetteur. En effet, les escroqueries aux NFT sont de plus en plus fréquentes. Les fraudeurs profitent de l’absence de processus de vérification de la paternité des œuvres sur les plateformes d’échange de NFT.
C’est notamment le cas de nombreuses plateformes d’échanges, comme OpenSea, laquelle ne va que retirer le NFT de sa plateforme à la suite de contestations soulevées au regard du droit d’auteur, et non vérifier la paternité d’une œuvre préalablement. Toutefois, l’émetteur du NFT aura déjà eu le temps de réaliser l’opération de vente et d’échanger ses gains en cryptomonnaies vers une autre cryptomonnaie anonyme telle que Monero. Il sera, dès lors, impossible de remonter jusqu’au fraudeur…
En tout état de cause, l’émetteur du NFT, lorsqu’il en est l’auteur, peut déterminer les droits de propriété intellectuelle transférables lors du processus de création du NFT. C’est ce que nous allons voir ci-dessous.