Délit d'initié et NFT

Délit d’initié et NFT : est-ce possible ?

Délit d’initié et NFT : la question se pose désormais. En effet, les grands gagnants d’un marché sur lequel s’échangent des biens ou des services sont ceux qui parviennent à anticiper les mouvements du marché, notamment grâce à l’obtention d’informations déterminantes.

Toutefois, la concurrence entre les investisseurs n’est pas sans limite. En effet, plusieurs règles et infractions ont été créées afin de réguler les pratiques abusives sur les marchés.Parmi elles, le délit d’initié, visant à empêcher les détenteurs d’informations privilégiées d’en profiter pour manipuler les marchés à leur avantage.

Aujourd’hui, cette infraction est confrontée au monde des cryptos actifs. En effet, le législateur n’avait naturellement pas envisagé ces derniers, le délit d’initié ayant été conçu bien antérieurement à leur essor.

Qu’est-ce que le délit d’initié ? Est-il compatible aux activités d’achat et de revente de NFTs ? Quelles sont les évolutions envisageables ? Nous allons répondre à toutes ces questions relatives au délit d’initié en NFT.

Avocats en droit des NFT, nous pouvons vous accompagner dans vos projets liés au monde de la crypto.

Qu’est-ce que le délit d’initié ?

 

C’est l’article L465-1 du Code monétaire et financier (CMF) qui définit ce qu’est le délit d’initié : 

« Constitue un délit d’initié le fait, en toute connaissance de cause et pour une personne disposant d’une information privilégiée, d’en faire un usage en réalisant, pour elle-même ou pour autrui, soit directement, soit indirectement, une ou plusieurs opérations ou en annulant ou en modifiant un ou plusieurs ordres passés sur l’émetteur ou l’instrument financier concerné par cette information privilégiée ».

L’initié est la personne disposant d’informations confidentielles dans l’exercice de sa fonction ou de sa profession. Ces informations soumettent, en principe, l’initié à une obligation de confidentialité, le contraignant à ne pas les utiliser, directement ou indirectement, pour manipuler des instruments financiers sur un marché réglementé.

 

Éléments constitutifs du délit d’initié

Une condition préalable : l’information privilégiée

L’information privilégiée est, de jurisprudence constante, assimilée à un renseignement précis. Plus encore, il s’agit d’une information « précise, confidentielle et de nature à influer sur le cours des valeurs » (Cour de cassation, chambre criminelle, 14 juin 2006, no 05-82.453).

La confidentialité s’entend du fait que l’information n’ait pas été diffusée au public. L’article 7 (a) du Règlement (UE) no 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 définit en ce sens l’information privilégiée comme une information précise « qui n’a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d’influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés ».

Bon à savoir : l’élargissement du cercle restreint d’avertis n’enlève pas pour autant le caractère confidentiel de l’information.

Le caractère privilégié de l’information est déterminé suivant une appréciation objective et non d’une analyse de celui qui reçoit ou utilise ladite information (Cour de cassation, chambre criminelle, 26 juin 1995, no 93-81.646).

 

L’élément matériel

Du point de vue matériel, le délit d’initié consiste en :

  • L’exploitation d’une information privilégiée, ou ;
  • La communication de celle-ci.

L’exploitation de l’information privilégiée se matérialise par la réalisation d’une ou plusieurs opérations ou en annulant ou en modifiant un ou plusieurs ordres passés sur l’émetteur ou l’instrument financier concerné par ladite information privilégiée.

L’information peut être exploitée pour soi-même ou autrui, par soi-même ou par l’intermédiaire d’un tiers.

Lorsque l’initié exploite lui-même l’information privilégiée, l’infraction sera consommée lors de la réalisation effective d’une ou plusieurs opérations. Par exemple, c’est le lancement de l’ordre de vente qui va consommer l’infraction.

La communication d’une information privilégiée, appelée le comportement de « dîner en ville », correspond au fait pour un individu de partager, à un tiers, une information dont il dispose dans le cadre de l’exercice de sa profession ou de ses fonctions, en dehors du cadre normal de sa profession ou de ses fonctions.

Bon à savoir : l’article L. 465-1, I, B, du Code monétaire et financier dispose toutefois que le simple fait de détenir une information privilégiée ne constitue pas pour autant un délit d’initié, à condition que le comportement l’individu soit légitime, au regard de l’article 9 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux abus de marché.

 

L’élément intentionnel

Le délit d’initié est, par définition, une infraction intentionnelle. Il existe d’ailleurs une présomption de connaissance sur les initiés du premier cercle.

Un dol général est suffisant à la caractérisation de l’intention de commettre l’infraction. En effet, les juges n’exigent pas une « intention délictueuse spéciale » (TGI Paris, 19 décembre 1975).

Bon à savoir : le dol général correspond à la volonté de commettre un acte puni par la loi. Toutes les infractions intentionnelles sont au moins constituées d’un dol général. Pour ces infractions le dol général seul permet de caractériser l’élément moral. Le dol spécial, quant à lui, correspond à la volonté de l’auteur d’atteindre un résultat réprimé par la loi.

En outre, lorsque l’initié permet à un tiers de réaliser l’opération, l’intention frauduleuse peut être retenue « sans qu’il soit nécessaire que l’initié connaisse l’identité des opérateurs ni les modalités de l’opération réalisée » (affaire Péchiney, Cour de cassation, chambre criminelle, 26 octobre 1995, n°94-83.780).

Peut-on appliquer le délit d’initié aux NFTs ?

 

Si la question est de savoir s’il existe des cas de délit d’initié aux NFTs, la réponse est oui. Mais ce n’est pas systématique. On vous explique.

Conformément à l’article L465-1 du CMF, le délit d’initié suppose nécessairement l’utilisation d’informations privilégiées à des fins de manipulations des instruments financiers.

Et c’est ici le point d’orgue de la caractérisation de l’infraction de délit d’initié appliquée aux NFTs. En effet, la question à se poser est la suivante : peut-on qualifier les NFTs d’instruments financiers ?

Si tel est le cas, le régime du délit d’initié leur sera applicable. Dans le cas contraire, l’exploitation ou la communication d’une information privilégiée en matière de NFT ne tombera pas sous le joug du délit d’initié.

Cela amène naturellement à l’analyse de ce qui constitue un instrument financier. Un instrument financier est communément admis comme un titre ou un contrat pouvant être négocié sur un marché réglementé.

Au risque de devoir se répéter, pour caractériser cette infraction à propos de la manipulation de NFTs, encore faut-il savoir de quelle qualification juridique héritent les NFTs.

Du fait même de leur nature, les NFTs peuvent difficilement être inclus dans une seule et unique catégorie, les qualifications pouvant se superposer. En effet, les NFTs peuvent être liés à des actifs différents et représenter des droits et obligations qui se distinguent tout autant. De plus, ce vide juridique est entretenu par l’absence de réglementation claire a propos de ces actifs.

A priori, les NFTs confèrent, pour leur majorité, des droits d’usage de l’actif sous-jacent. Dans ce contexte, ils ne sauraient être considérés comme des instruments financiers.

Toutefois, l’utilisation du NFT comme security token pourrait changer la donne. Pour rappel, un « security token » est un jeton conférant des droits financiers et/ou politiques. Par ces droits financiers qu’ils octroient, les security tokens sont donc assimilés à des instruments financiers.

Nous savons que l’assimilation des security tokens à des titres financiers entraîne la réglementation applicable en cette matière (la réglementation prospectus par exemple). Partant, les NFTs qui seraient susceptibles d’être qualifiés de security tokens devraient suivre la même logique (pour plus d’information, voir notre article sur les security token offering).

Bon à savoir : le caractère essentiel du NFT qu’est la non fongibilité vient néanmoins s’opposer à l’objet habituel d’un titre financier, à savoir son interchangeabilité sur un marché réglementé.

Pour résumer, il ressort de notre analyse que :

  • Lorsque les NFTs confèrent des droits d’usage de l’actif sous-jacent, ils ne sauraient être considérés comme des instruments financiers. Dans ce contexte, le délit d’initié ne saurait leur être applicable.
  • Lorsque les NFTs confèrent des droits financiers et/ou politiques (c’est le cas du security token), ils sont assimilés à des instruments financiers. Dans ce contexte, le délit d’initié serait applicable. On parle alors de délit d’initié en NFT.

Délit d’initié et NFTs : quel avenir ?

 

Des acteurs majeurs du marché des NFTs tentent, à leur niveau, d’éviter les abus sur ce marché encore peu réglementé pour éviter de tomber sous la qualification de délit d’initié en NFT.

Depuis octobre 2021, la plateforme Opensea interdit à ses membres d’utiliser des informations confidentielles pour acheter ou vendre des NFTs. Cette interdiction vaut pour tous les NFTs, qu’ils soient disponibles sur la plateforme ou non.

Au niveau national, de nombreuses évolutions législatives sont attendues par les praticiens afin qu’un dispositif réglementaire encadre clairement ce marché.

Pour aller plus loin, vous pouvez lire nos articles relatifs aux sujets suivants :

Mise en ligne : 24 mai 2022

Rédacteur : Rayan Benfedda, Diplômé du Master I Droit des affaires de l’Université Paris X. Sous la direction de Maître Elias BOURRAN, Avocat au Barreau de Paris et Docteur en Droit.

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